jeudi 5 février 2009

La visite de la bay curieuse au pays du vent

Nous sommes désormais à Invercargill. Si nous y sommes si tôt c'est que nous avons pris la lourde décision de snober la principale attraction de l'île sud, Fiordland. On ne va pas s'étendre là-dessus et je reconnais une certaine contradiction chez le voyageur qui condamne le tourisme. Pas facile de saisir la nuance. Enfin, toujours est-il que nous sommes désormais dans une petite ville pas trop moche, devant un musée accoudé à un jardin botanique superbe. Nous visitons les deux. Nous rencontrons le Tuatara derrière son plexiglas. Reptile préhistorique. C'est Denver avec un troisième œil. Il parait qu'il descend tout droit du jurassique, pas la moindre évolution depuis. Ça nous impressionne mais la question se pose quand même. Est-ce un crime suffisant pour être enfermé dans une cage?!? mmmmmffffff... En tout cas, il doit être sacrément mélancolique et regretter le temps béni des tyrannosaures.
Un peu plus tard dans l'après-midi, Nono, assis sur un banc, voit revenir vers lui sa belle qui rayonne comme au plus beau jour. Des hêtres géants lui font une haie d'honneur. Ils se retournent sur son passage. Ils la dévorent des yeux. Elle est un univers de volupté, de grâce, de bonheur. Je suis amoureux. Après-midi magique sous le soleil d'Invercargill, dans sa tranquillité de petite ville paumé du bout du monde. Après-midi inoubliable. Après-midi avec toi.

Vers 5 heures on se casse de là. On roule jusqu'à un camping dans Curio bay. Nous nous arrêtons plusieurs fois sur la route pour nos retrouvailles joyeuses avec l'océan et les habitants des plages. Les huîtriers donnent la leçon à leur petit. Les algues se dessèchent au soleil. Les gros lions de mer ouvrent à peine un œil lorsque nous passons à côté d'eux. Dire que ces gros tas de gras passent la majeure partie de leur journée à glander au soleil...
Derrière nous les mastodontes, devant nous notre nid pour la nuit. Un petit camp au milieu des flaxes (typique roseau-chanvre néo-zélandais) et des phoques avachis. Les canisses sont faites de végétations florissantes, abris anti 40ième rugissant. Les commodités plus que sommaire. Deux espèces de vieux bunker rouillés superbe de décrépitude réaménagés en micro-cuisine et douche. En fin de soirée, toujours dans une décontraction rare, nous partons visiter nos voisins pingouins sur une forêt fossile pour une petite leçon d'abnégation parentale...

mardi 3 février 2009

Queenstone

Descente tranquille, sereine, avec le soleil. RAS. Sauf peut-être que Sophie a fait tomber dans le ruisseau les godasses qu'elle avait précautionneusement enlevées pour éviter de les mouiller. Les pieds gelés et les chaussures trempées malgré tout. Nono a bien ri.
On se barre à Queenstone, les cheveux dans le vent, Mister Iggy chantant rien que pour nous. Finalement, Queenstone. Ville mythique du grand large sudiste. Fait partie de la mythologie des aficionados des sports à forte sensation sans le moindre risque. Fait partie de la mythologie de tous ceux qui aiment à dire, "j'y ai été en hiver comme en automne". Queenstone c'est aussi le fief de tous les tours opérateurs qui vous embarquent sur les traces de Frodon et de cet ersatz de Tolkien, j'ai nommé Peter Jackson. Queenstone, ville fantôme pleine comme un œuf. Queenstone, pas de lit sans réservation mais des vans plein le parking des hôtels. Queenstone, j'ai trouvé que tu puais la merde et l'hypocrisie. On est pas resté longtemps, mais le cap d'Agde, ou Valras, quand j'étais petit, m'ont vacciné contre la superficialité de ton peuple sauvage et de leur Ray-Ban et de leur morgue. Mais il en faut pour tous parait-il. Passons.
Nous avons planté la tente un peu plus loin, refait le plein de victuailles, et surtout, surtout, dépensé beaucoup d'argent dans un inavouable et odieux festin. Tu l'insultes encore ta civili civila civilalisation connard ? Bonne nuit.

lundi 2 février 2009

Pour le cri du Kéa

Aujourd'hui ascension du mont Armstrong. 1700m de dénivelé. Il va falloir être costaud. On se retrouve là après une journée à hésiter, avancer, reculer, fuir la pluie, le doute, le ras le bol. Les aventures picaresques c'est bien, mais l'absence totale de planning nuit parfois à la sérénité. Bof! Il fait beau aujourd'hui et nous pensons savoir où l'on dormira ce soir. Autre bonne nouvelle, une seule rivière à traverser, à gué, sur tout l'ensemble du parcours. Problème, il est à peine 8 heures et nous sommes déjà devant. On enlève les chaussures et plongeons nos arpions timides dans le cours d'eau docile mais glacial. Les galets nous défoncent la plante des pieds tandis que l'eau fraîchement redevenue liquide nous brûle la peau. Réveil assuré et puis, tu nous diras, on en a vu d'autres...
Que dire de la montée? Deux heures dans la forêt sombre, Le vert des mousses, le poids du sac... Je ne refais pas le couplet. Nous voilà en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire en dehors de la limite forestière et nos ombres s'étalent sur une dizaine de mètres en direction de l'ouest au milieu des touffes de tussoks. En face, une partie des Alpes et le mont Aspiring qui dépasse tout le monde d'une tête. Nous le saluons. Encore quelques centaines de mètres. Le sentier court sur le dos de la crête. Des deux côtés, la pente est tellement abrupte que nous avons l'impression parfois de marcher sur un fil. Nous ignorons le vertige et sur un petit plateau, nous apercevons le toit rouge de la hut. Nous sommes à mi-parcours, il est 10h30. A l'ombre des gros murs rouges, nous nous félicitons du chrono tout en ôtant nos habits trempés de sueur.
La hut est un véritable refuge de haute montagne. Toute neuve, elle donne un peu l'impression d'un abri antiatomique avec sa grosse porte capitonnée et sa poignée galiléenne. Un couple d'israélien occupe encore la chambre. Ils nous rendent difficilement le good morning que nous leur adressons gracieusement. Nous n'insistons pas. Face au glacier qui réverbère la lumière d'un soleil généreux, nous nous installons pour un petit casse dalle. Devant nous, le mont Brewster. Sommet: 2500m. Terrain de jeu des alpinistes confirmés ou débutants. Il me nargue ce con. Je m'en fous, je l'ignore. Tandis que nous avalons notre encas, une petite famille de blonds déboule. Nous engageons la conversation. Nous apprenons que c'est le baptême de montagne pour la petite dernière, Emily, 6 ans. Mille mètres dans les pattes pour une première. Pas mal. En tout cas, bon moyen pour savoir où elle en est la gamine. Si elle s'en sort sans chouiner, ce sera gagné. Sinon, il y a de grandes chances qu'elle finisse ses jours dans le dénivelé moins vache d'Auckland et ira passer ses vacances à Bali. Le père nous raconte son ascension du Mont Brewster. Il est beaucoup moins hautain qu'il n'en a l'air. De l'autre côté de la hut, nous rencontrons d'autres marcheurs qui viennent juste d'arriver. Voyant nos affaires étalées anarchiquement ici et là, ils nous conseillent de nous méfier des voleurs. Les Kéa, perroquets de montagne, rodent et ils sont de sacrés chapardeurs. "Les Kéa, répond Nono les yeux qui brillent, ils peuvent venir, je leur donne ce qu'ils veulent du moment qu'ils gardent la pose".
Les sacs allégés de quelques affaires, nous entamons la seconde partie de la montée. Cela ne parait pas si difficile vu d'en bas, mais la pente s'avère beaucoup plus chiée une fois sur le dos rond du mont bras fort et surtout, pas de balise mais des cairns disséminés par diverses bandes d'apprentis guide de montagne plus ou moins mongoles. Après s'être retrouvés une fois ou deux emmerdés par la débilité profonde des itinéraires bis, Nono décide d'ouvrir le chemin et de ne se fier qu'à sa lecture du coteau. Derrière, Sophie s'accroche, grimace, puise tout au fond pour arracher un sommet une nouvelle fois très mérité. Et quelle récompense encore. Pas la queue d'un cumulonimbus, pas de brume, pas de vent mais des glaciers, petits, grands, des falaises vertigineuses et la chaîne de montagnes, dressée, nous encerclant comme l'armée des soldats de Xi'an. Alors que Sophie se remet tant bien que mal de l'effort psychologique qu'a représenté pour elle la montée, Nono exulte de joie. Le comble pour un petit mec, c'est de se grandir assez pour atteindre le sommet des montagnes.
Le temps s'est arrêté. Malgré tout, il ne faut pas oublier de redescendre de notre euphorie et de regagner la hut. Doucement mais sûrement, nous nous dirigeons vers le toit rouge perché sur son promontoire, perdu au milieu de la montagne aux Kéas. Ces derniers sont restés invisibles. Nous avons bien observé quelques mouettes en vadrouille, quelques mouches, quelques sauterelles et autres papillons, mais pas le moindre foutu Nestor. De retour à la hut déserte, nous flemmardons, lézardons, bouquinons. Les minutes s'enchaînent tendrement, elles s'accumulent jusqu'à former des heures. Toujours personnes en vue. Nono profite de cette quiétude inespérée pour une toilette, à poil devant le robinet qui surplombe la vallée, le soleil caressant de ses derniers rayons son zob reconnaissant. Tout bonnement orgastique. Un slip propre emballe le paquet et le couple de tourtereau convole en un amour hélium platonique. Nous préparons le frugal repas presque en apesanteur jusqu'à ce que deux présences nous fassent sursauter. Les blaireaux de Tel Aviv redescendent du Mont Brewster. Partis bien après nous, ils ont tenté l'aventure sans équipement, tard dans la journée et avec leur sac de rando. Nous ne savons rien d'eux, sauf qu'ils écriront avant de repartir vers la vallée qu'ils ont failli y rester et que sur leur tronche, il est marqué qu'ils reviennent de loin. Sont-ils nés cons, sado-masos, suicidaires ou est-ce que trois ans de service militaire dans un pays en guerre a fini de les lobotomiser ? Nous ne saurons jamais, mais quel soulagement lorsque nous les voyons s'éloigner. Il est passé 7 heures du soir. Il fera nuit dans une petite heure. Je me questionne encore à leur sujet 8 mois plus tard... Du coup, leur départ nous hallucine. Désormais, qui pourrait venir dynamiter notre tranquillité alpine. Personne. Personne sauf qu'un drôle de cri se fait entendre. Une sorte de complainte, une sorte de cri d'oiseau, un KEEEE AAAA perçant. Serait-ce? Oui. Il est là, le bouquet final, sur un rocher à cinq cents mètres de la hut. Le seigneur de la montagne, le Nestor notabilis. Mon martyr chéri, mon prince olive, mon génie aviaire... J'en fait trop? Pardon. Plus simplement, le point final de la journée, l'observation d'un oiseau sérieusement menacé pour des raisons que je ne développerais pas, nous pousse au paroxysme d'une sensation d'enchantement mystique, comme si quelque chose quelque part... J'en fait trop? Pas si sûr. Toujours est-il qu'après un laps de temps x ou y, l'oiseau ouvre ses ailes vermeilles pour le plus grand bonheur de Sophie qui l'avait justement au bout des jumelles, tournoie au-dessus de nous et vole vers un cri, là-haut, dans le ciel qui glisse lentement vers nous. Nous retournons à notre soupe, blottis dans notre hut, avec comme plafond un ciel de brume.