samedi 27 décembre 2008

Samedi

27 décembre 2008

Samedi, dernier jour de notre voyage sur la planète Ruapehu. Aujourd'hui nous redescendons sur terre.

Nous sommes plutôt ravis de voir l'astre solaire briller comme aux plus beaux jours et nous accompagner jusqu'à Whakapapa village, jusqu'à notre Honda rouge passée, jusqu'à une douche, jusqu'à un lit avec des draps, une bière fraîche, un plat chaud, de la viande si possible, un steak, un rumsteak, ouais, un rumsteak et des frites, c'est ça, une paire de baskets et des chaussettes propres, et puis un caleçon propre aussi, tant qu'on y est, du déodorant, un vrai café et de la confiture, un canapé, un film, un joint, le chauffage central, une grosse couette, un cocon. Nous rêvons de propre tout le long de la route. Nous rêvons de confort. Nous rêvons de civilisation.

La fatigue qui nous accablait la veille a comme disparu. Une sorte de torpeur enroule nos mouvements, nous promène. Nous nous retournons parfois, pour regarder le volcan qui s'éloigne dans notre dos. Il n'a jamais été si beau. Il ne sera bientôt plus qu'un incroyable souvenir dans nos esprits et quelques photos dans notre disque dur reproduisant bien médiocrement sa véritable splendeur...


Et à part ça alors? Alors pactage et dentifrice, une dernière rivière glacée, des marécages jaunes et bruns, la forêt pluviale et des oiseaux, enfin des d'oiseaux. Cerise sur ce gros gâteau, nous rencontrons sur notre route le Karearea, the New Zealand Falcon, sans aucun doute possible et sachant qu'il ne reste pas plus de 800 animaux sur l'île, nous nous considérons vulgairement comme ayant le cul bordé de nouilles.

Après 2h30 de marche, une rivière d'or, des fougères de toutes tailles et des arbres choux, finalement, c'est le retour des gens. En contre sens et mal polis, des gens. Walkman sur les oreilles, traînant avec eux tout le poids de leur sinistre solitude, des gens. Visiteurs blasés ignorant lamentablement les richesses de la forêt, ils déambulent sur le sentier devenu chemin. Ils nous agacent mais nous ne leur accordons pas plus d'importance que ça.

Dernier pont, énorme, en bois, fabuleux ouvrage d'art, une merveille, puis un parking, la route, et enfin Whakapapa. La boucle est bouclée. Nous nous congratulons. C'est fait, derrière nous, 65 km de sentiers, 6 jours de marche, 5 nuits, 115 photos...

Pourtant, l'euphorie que nous nous attendions à recouvrer n'est pas là. Nous sommes contents mais rien d'extravagant. Nous déchargeons nos sacs, ôtons nos chaussures immondes de puanteur et gagnons l'office de tourisme afin d'avertir les responsables du site de notre retour triomphal et en un seul morceau.

A l'intérieur, c'est la cohue. Du monde à en dégueuler par toutes les fenêtres des têtes de gros cons joufflues. Ça se ru, ça s'entasse, ça se presse, ça chiale et ça trimbale sa sale caboche à la recherche de la moindre saloperie à rapporter de l'autre bout du monde. Surtout, Nousdeux sont très fatigués et le retour à la réalité touristique de Whakapapa est absolument atroce. Nous écourtons notre tour du musée. Il est plein de français et nous comprenons trop facilement leur discours gluant.

Nous fuyons à toutes jambes l'office. Nous désirons maintenant nous connecter à l'outil internet afin de trouver une table et une chambre pour la nuit. Le seul poste accessible se trouve à 500 mètres, dans un hôtel. Bien sûr, la petite dame de l'office et son superviseur, binoclard prétentieux, en ont plus que marre de voir débouler hommes et femmes des bois empestant l'animal sauvage. Ils sont plus glacials que l'hiver québécois. Ils nous expédient sèchement vers les ordinateurs et cela énerve Nono qui a déjà pas mal entamé son capital selfcontrol depuis une demi-heure. La souris. Qui est-ce qui si colle? Hum... Nono empoigne la bête. Comment ont fait? Comment ça marche? Comment on écrit auberge de jeunesse en anglais? Ça rame, ça bug, c'est cher et on n'a plus de monnaie. Vite réservation. "Où t'as mis ma putain de visa? Comment ça elle est restée dans la voiture? Trouve moi un stylo, un bout de papier, que je note cette saloperie de numéro de téléphone bordel! J'en ai pas". Fin de la session. Il était temps, on allait finir par se battre.

Nous sortons de l'hôtel pas beaucoup plus avancés. On sait juste qu'il va nous falloir marcher sur des œufs jusqu'à la fin de la journée et que ce dont nous avons besoin maintenant, c'est de boire un coup, de prendre notre temps et surtout, surtout, de RESTER CALME.

A Whakapapa, il y a, hormis des touristes stupides, pas grand-chose. Une espèce d'édifice en briques rouges d'assez mauvais goût qu'ils appellent pompeusement "The château". C'est l'hôtel grand luxe de la station de ski qu'est aussi Whakapapa en hiver. C'est le seul endroit où l'on peut espérer boire une bière ici. Dehors, cinq tables de pique-nique avec dessus au moins cent verres, bouteilles et tasses.

A l'intérieur, le bar, même bordel mais avec moins de gens, mais encore plus de vaisselles sales. Nous approchons timidement du barman. Il sourit de toutes ses dents, s'excuse pour l'hygiène plutôt lamentable et nous sert deux bières que nous boirons au goulot. Il y a des gens qui viennent réclamer le cacolac de la petite et le vittel grenadine de la belle-mère qu'ils ont commandés il y a déjà un petit moment. Un grand gugusse en tongues et short de plage débarque de la planète Hawaï et tente de reprendre tout ça en main. Sans doute le gérant. Bref. On boit, on se gausse, ça nous fait du bien et puis on se casse de là.



Nous roulons direction Turangi, extrémité Est du lac Taupo. Là, nous y trouvons un Holiday park, une petite chambre et surtout une douche. Nous avalons un piètre sandwich et quelques chips achetés un peu plus tôt au New World (sorte d'intermarché local). Une petite boite de tomates cerises nous redonne le goût de la nourriture non déshydratée. Malgré la fatigue, nous trouvons la force nécessaire pour prendre une douche, longue et bien chaude.

Nous dormons quelques heures avant de partir revigorés vers le "centre-ville". Pas vraiment le choix. Une bière dans un TAB (sorte de casino pouilleux pour fauché) avant de nous rendre au restaurant "Four Fish" juste à côté. L'ambiance du resto est faussement guindée. Toute une tripoté de faux riches font semblant de festoyer. On nous accueille froidement avant de nous installer dans un coin. "Encore deux paumés qui vont commander une barquette de frite et boire un coca pour deux", doivent-ils penser. Deux bières, une bouteille de Chardonnay, deux entrées, deux plats, deux desserts et deux Irish coffee finiront par nous remettre sur pied. 170 dollars, un généreux pourboire et comme souvent, nous sommes les derniers à quitter la salle de restaurant. Le responsable nous gratifie de mille thank-you. Retour dans notre cagibi digérer le festin. Fin de l'aventure Round the Mountain Track.



vendredi 26 décembre 2008

Vendredi

26 décembre 2008

Comme nous nous endormons, nous nous réveillons avec le soleil. Nous restons quelques instants immobiles sur notre matelas, pour mieux savourer la douceur du petit matin qui tapote aux carreaux. D'où nous sommes, nous ne pouvons pas voir la couleur du ciel, mais la lumière qui pénètre dans la hut par la baie vitrée laisse à espérer qu'il est plutôt bleu.

C'est Peter qui s'active le premier. Il installe une gamelle d'eau sur le petit réchaud à gaz posé sur le plan de travail près de la fenêtre.
Nono se lève à son tour, part chercher de l'eau à la rivière, revient chercher le réchaud, ressort, rerentre, ne sait plus trop où il habite.
Il y a un truc qui cloche ce matin dans son petit cerveau de thermodynamicien du dimanche. En bon motoriste avisé qu'il est, il a toujours utilisé son réchaud à gaz à l'extérieur. Ben oui, vous savez bien, le coup du monoxyde de carbone, le traître, celui qui ne sent rien et qui vous paralyse à ce qui parait. En plus, ces sales petites bestioles que sont les réchauds à gaz, ont la fâcheuse tendance de ne pas être toujours très stables, enfin, cela dépend surtout de celui qui les utilise...
Alors, il est là notre ami, devant la porte, la gamelle pleine de flotte dans les mains, incapable de prendre la décision dehors, dedans. Peter, qui a tout l'air du randonneur expérimenté, ne s'emmerde pas tant lui. Il utilise son réchaud dedans, et laisse ses chaussures dehors. Ses chaussures justement. Et ce qui devait arriver arriva. Nono laisse la gamelle de flotte lui échapper des mains et tout le liquide s'en retrouve pour le coup éjecté presque intégralement dans la chaussure gauche (pointure 51, au bas mot) du néo-zélandais.
Confus et ridicule, notre petit bonhomme rentre timidement dans la hut demander pardon au grand gaillard. On vous l'a dit, les néo-zélandais sont sympas, et en en voila une preuve de plus, Peter, de l'eau ou pas dans ses groles, ça vraiment, il s'en fout.

Le temps d'éponger autant que possible l'eau de la chaussure et nous reprenons le cours normal de nos activités c'est à dire, petit déjeuner (café soluble infâme et petits gâteaux secs), pactage, nettoyage de la hut. Les néo-zélandais sont les premiers, sans rancune, à partir, suivis quelques minutes plus tard de Nousdeux.

Hormis quelques cumulus qui nous privent parfois de soleil, le temps de ce matin est agréable. Cela est très appréciable après les deux jours de déluge que nous venons de nous farcir. L'espoir est permis, rester sec toute la journée, le rêve. Oui mais voilà. La réalité de la randonnée pédestre est parfois cruelle et il est bientôt l'heure de déchanter. Derrière la hut, un petit bois, quelques arbres tout au plus qui nous cachaient une rivière. Bien sûr, aucun pont en vu et nous nous rendons vite à l'évidence, il ne va pas être facile de la traverser sans avoir de l'eau jusqu'au genoux.

Nous prenons notre courage à deux mains et plongeons nos guiboles engourdies dans la fraîcheur terrible du bouillon. L'eau qui s'infiltre entre les mailles des chaussettes nous brûle les orteils.

De l'autre côté, nous ôtons les sacs pour le premier break de la journée. Il est 7h35. Nous avons décollé à 7h30.

Assis sur une grosse pierre, nous essorons nos chaussettes. Le moral des troupes a été quelque peu lessivé par la traversée.
Nono essai de relativiser. Sophie a un peu plus de mal. Nono, sentant bien que la situation lui échappe, cherche par tous les moyens à maintenir le moral de l'expédition à flot, finit par s'énerver et conclut le tout en beuglant comme un con. Braquage complet de Sophie qui l'envoie proprement se faire voir chez les grecs. Elle est pas belle à voir l'équipée sauvage à ce moment là.

L'orage ne dure que quelques secondes et les esprits retrouvent vite leur calme. Nous reprenons notre route presque sereinement. Celle-ci s'élève par quelques petits passages délicats jusqu'à un promontoire surplombant la vallée. Nous stoppons là quelques instants, le temps de l'imaginer il y a 10 000 ans, remplie de millions de tonnes de glace. Pendant quelques secondes nous marchons sur le monstre.

Le sentier grimpe maintenant au droit dans la forêt, longeant un petit ruisseau bordé de Mountain Daisy. Par endroit, des glissements de terrains mettent à jour le sous-sol de la montagne. Un peu plus loin, le Ruapehu se mire dans les eaux du Lake Surprise...

Nous arrivons au pied d'un immense escalier. Il a été construit pour protéger les milliers de plantes qui s'épanouissent dans cet ancien couloir d'avalanche. Ses innombrables marches nous emportent sur la crête, au dessus de la zone de végétation forestière. Le vent est au rendez-vous et il est en forme aujourd'hui. Comme bien souvent, il amène avec lui ses vieux potes les nuages qui s'accumulent déjà à l'horizon. Nos enfilons une épaisseur supplémentaire avant de partir à l'assaut du sentier qui court à flanc de montagne, traversant une steppe marécageuse. Un crachin flotte dans les courants. Il ne tombe pourtant pas du ciel, il est soufflé de la montagne par le vent.

Nous allons souffrir pendant 4 heures à monter descendre, traverser des rivières. Trop tôt, trop vite, nous espérerons apercevoir la hut. Nous sommes fatigués. Il nous faut puiser dans nos ressources pour continuer. De toute façon, nous n'avons pas le choix.

Nous atteindrons la hut un peu avant deux heures. Nous avons mis 6h30 pour l'atteindre. Une heure de plus que prévu pourtant, nous ne nous sommes quasiment pas arrêtés.

La hut est vide, propre et agréable. Tout en bois, tout en chaleur. Il ne fait pas vraiment froid mais Nono décide d'allumer quand même un feu dans le fourneau. Pendant ce temps, Sophie prépare les deux derniers sachets de nouilles chinoises. Tout à coup, c'est le drame. Dans sa relative fébrilité, la belle renverse le précieux contenu de la gamelle sur le plancher poussiéreux du haut-vent. Ces deux sachets, valant l'équivalent de quelques centimes de dollars néo-zélandais, avaient été pour nous la promesse d'une récompense à l'arrivée, ils maintenaient l'espoir d'un peu de douceur dans notre journée laborieuse. Ce que la valeureuse Sophie ressent à cet instant-là n'est n'y plus ni moins que de la tristesse. Dès lors, il faut sécher ses larmes et patienter jusqu'au soir pour se restaurer. La randonnée en autonomie, faut-il le répéter, c'est redéfinir des échelles de valeurs, c'est faire de petits riens des grands tout.
Le calme revient. Nous passons le reste de l'après-midi à jouer aux cartes et au petit bac.

Vers 17h30 arrive un couple. Piolets, mousquetons et cordes. Ils déballent leur tente qu'ils font sécher à l'extérieur. Chose parfaitement incroyable, ils sentent encore plus mauvais que nous. Elle, 25 30 ans, plutôt sociable, suédoise et parfaitement bilingue. Lui, 30 35 ans, le vrai ours, australien et une tête à cauchemar. Ils font à peu près le même parcourt que nous, mais en évitant autant que possible d'emprunter les sentiers. Pour demain, ils envisagent d'escalader le Ruapehu.

18h00 arrive un second couple. Équipement propre, vêtement moulant dernière génération en Gortex. Ils entrent sans dire bonjour. Chose parfaitement incroyable, ils sentent bons. Elle, 65 ans, plutôt hautaine, Néo-Zélandaise, découpant des légumes frais et du jambon. Lui, 60 ans, nettement plus cool et qui finit même par nous adresser la parole. Ils font la même boucle que nous mais dans l'autre sens.

Nous finissons tous à la même table à écouter la vieille randonneuse parler pour ne rien dire. En fait, nous n'avons qu'une seule idée en tête, impossible de faire autrement: leur piquer leur bouffe! La vue du cœur de batavia, blanc et croquant, les tomates juteuses, les poivrons sucrées finissent par nous rendre un peu fous. Pas assez pour une agression caractérisée, mais assez pour se réjouir à l'idée que demain, nous regagnons la civilisation, ses routes, son eau chaude et ses supermarchés...




jeudi 25 décembre 2008

Jeudi

25 décembre 2008

Une lumière pâle et timide éclaire la pièce lorsque nous ouvrons les yeux. Triste nouvelle en ce 25 décembre, le père noël nous a oubliés. Nous nous jetons sur la fenêtre dans l'espoir d'apercevoir néanmoins un peu de ciel bleu et quelque chose du paysage qui, d'après les commentaires laissés dans le registre, est grandiose des fenêtres de la hut. Malheureusement, la visibilité est limitée à quelques centaines de mètres et la pluie tombe toujours aussi fort.
C'est d'abord un redoutable sentiment d'abattement qui nous emporte dans une déferlante de lamentations. Un autre jour à marcher 5 heures sous la pluie, voilà le programme de notre jour de Noël. Nous émettons l'hypothèse de rester ici pour la journée. Nos provisions sont suffisantes pour tenir six jours complets et nous avons prévu d'être de retour à Whakapapa samedi matin. Nous pourrons même, si nécessaire, ne pas faire de halte dans la dernière hut qui n'est qu'à 3 heures de marche du hameau. Les minutes s'égrènent lentement et l'idée nous parait bientôt mauvaise.
Coûte que coûte il nous faut avancer. Pas question de moisir ici un jour de plus.
On se motive. L'important est de partir gonflé à bloc.
Nous nous élançons sur le sentier entrecoupé de touffes de tussocks détrempées. Après quinze minutes, le premier ruisseau que nous devons traverser à gué finit de nous remplir les godasses. Après vingt minutes, nous sommes aussi mouillés que possible.

Pendant deux heures, même topo que la veille. Parcourt du combattant au milieu des marécages et des forêts blanches et bleues puis nous gagnons de nouveau la beech forest, plus verte, moins morbide, mais tout aussi humide et froide.

Quelques instants avant de rejoindre Ohakune mountain road, nous croisons un couple remontant le chemin. Ils sentent le propre et les douces fragrances d'after shave et d'eau de Cologne nous rappellent au bon souvenir des douches quotidiennes.
Nous papotons pendant cinq minutes. Ils sont très étonnés lorsque nous leur affirmons qu'ils sont les premiers humains, et pratiquement les premiers êtres vivants (monde végétale excepté) que nous voyons depuis plus de deux jours.

Cinq cents mètres plus tard, nos pas foulent le bitume. Pas de pancarte ici. Pas d'indication non plus sur le descriptif de la marche que nous trimballons avec nous et qui commence à devenir très peu lisible. Nous interrogeons notre semblant de carte. Il faut prendre à droite, il faut monter.

De là, nous entamons la pire épreuve de la marche. Remonter une route qui ne mène nulle part mais qui reste invraisemblablement fréquentée. Nous avons été surpris de trouver du macadam, nous le sommes encore plus devant le nombre de véhicules plus ou moins lourds qui gravissent la côte, refoulant autant que possible une quantité effroyable de gaz d'échappement que nous respirons à pleins poumons, et qui redescendent après quelques trop courts instants.
Comble de la perfidie, il nous parait de plus en plus évident que le temps que nous allons passer sur cette route n'est pas pris en compte dans le temps donné de parcourt.

Sophie perd un peu de sa patience, puis c'est autour de Nono de s'énerver. Nous sommes pourtant presque tout au-dessus. La pluie n'est plus qu'un crachin minable et nous manquons presque d'apercevoir la silhouette majestueuse qui se découpe à l'horizon. Un magnifique cerf coiffé de bois immenses nous observe de loin.

Enfin une pancarte. Nous sommes de retour sur le sentier après ce bref retour à la réalité. La hut est à deux heures de marche. Confirmation que l'heure de grimpette en compagnie des autos et de leurs passagers ahuris ne fait pas partie de la rando.

Nous pestons une dernière fois avant de reprendre la route, lorsque surgit d'entre les nuages un rayon de soleil. Nous prenons ce petit bout de ciel bleu comme une récompense à nos efforts. Ce petit rien de réconfort nous revigore.
Au fur et à mesure de notre progression, le ciel s'ouvre. La grisaille qui a été notre lot quotidien pendant deux jours laisse maintenant la place au bleu du ciel et nous apercevons même par instant des pans entiers de montagne. C'est le retour du Ruapehu après deux jours d'absence.

D'un peu plus loin, nous distinguons le toit gris de la hut, lovée dans un petit bois tout en bas, au fond de la vallée. Nous mesurons ainsi la route qu'il nous reste à parcourir avant de pouvoir ôter nos chaussures.

Toute une partie de la descente se pratique sur de la roche extrêmement glissante. Cette partie, bien que très passionnante, est également très stressante. Nous prenons notre temps et en atteignons le point bas sans bobo.

Encore un ou deux kilomètres à parcourir dans la plaine, deux ou trois ruisseaux à traverser à gué, un petit pont de bois et c'est l'arrivée à la hut. Surprise, elle est habitée. Nous prenons notre temps avant de rentrer à l'intérieur. Nous y trouvons Peter and James, le père et le fils, en retraite pour les fêtes de Noël. Échanges courtois et ambiance feutrée. Toutes les paroles sont dites à voix basse, comme pour ne pas perturber la sérénité qui se dégage de l'endroit, et avec cette humilité et cette simplicité souvent caractéristiques de ceux qui crapahutent sac au dos.

La fin d'après-midi s'écoule doucement. Allongés sur nos matelas, jamais ne rien faire du tout ne nous avait paru aussi agréable. Nous contemplons depuis l'immense baie vitrée les nuages qui galopent sur le volcan. Bientôt, une ombre remontera de la plaine jusqu'à son sommet, dévorant la lumière du jour et annonçant l'irrémédiable approche de la nuit. Toujours dans le silence et à mesure que l'obscurité gagne du terrain, chacun retrouve la chaleur de son sac de couchage pour y attendre le sommeil sereinement.

mercredi 24 décembre 2008

Mercredi


24 décembre 2008

Il pleut des cordes. La pluie et le vent se sont amusés toute la nuit à battre des roulements de tambour sur le toit et à faire hurler le corps de la cheminée. Pas tout à fait l'idée que l'on se fait d'un désert. Il est sept heures et la dernière des choses que nous ayons envie de faire est de mettre le nez dehors. A 7h30, nous nous décidons timidement à affronter la fraîcheur de la hut. On traîne des pieds, on déjeune, on se brosse les dents... A neuf heures, les sacs sont prêts. Il faut se résoudre à sortir. Nous espérions une accalmie, de toute évidence, elle ne viendra pas.


Rien à dire sur les cent premiers mètres. La pluie n'est finalement pas si drue et le vent semble s'être enfin calmé. A bout de deux cents mètres, première difficulté. Un petit ruisseau dévale la pente. Pas de quoi s'affoler me direz-vous, n'empêche que jouer à la marelle sur des petites pierres mouillées avec un sac de quinze kilos sur le dos, il y a quand même de quoi en refréner plus d'un.
On avale gauchement l'obstacle et on continue notre route. Le sentier grimpe légèrement à flanc de coteau avant de déboucher sur un petit plateau à découvert. A partir de ce point, la pluie redouble d'intensité et le vent redevient fou. Le mélange des deux vient nous percuter à tribord. Nous adoptons une espèce de démarche de biais pour protéger tant bien que mal le côté droit de notre visage, tout en essayant de garder un œil sur les balises. Peu confortable comme posture mais relativement efficace une fois que la technique est acquise. Nous avons quitté la hut depuis une bonne demie-heure et des vêtements que nous portons, il ne doit déjà plus rester grand-chose de sec. C'est approximativement à ce moment que Sophie, en son âme et conscience, émet la terrible hypothèse : "Je crois que j'ai oublié mes lunettes dans la hut". Pour un caleçon, une fourchette et même une lampe frontale, la réponse aurait été simple et expéditive : on s'en fout, pas question de rebrousser chemin, mais pour des lunettes de vue, c'est plus délicat. Pas d'autre alternative alors que de déballer le sac de l'espèce de Kway qui l'emballe et d'en vider son contenu encore plutôt sec au milieu des flaques d'eau. On farfouille, on s'agace, on s'énerve et finalement on met la main sur l'étui rouge. Cette halte nous permet néanmoins de faire un point sur notre situation. Dans ces conditions dantesques, pas question de flâner ni d'inspecter le moindre caillou bizarre. Une seule issue, foncer. Nous adoptons dès lors une allure soutenue, un peu dans le genre marche ou crève.
Après une demi-heure de progression sur le plateau, nous arrivons au-devant d'une immense vallée morainique, sombre et grise dans la tempête, profond sillon taillé dans la roche et berceau d'une rivière qui parait minuscule depuis notre point de vue. Des rideaux de pluies dansent dans le contraste des parois. Elle est effrayante, monstrueuse, vierge de toute végétation, parfait paysage lunaire, excepté que sur notre satellite, il ne pleut pas. Nous avalons une barre de céréale avant d'entamer la descente abrupte qui mène au torrent. Avec le sol rocailleux mouillé, la partie s'annonce périlleuse. Chaque pas doit alors être contrôlé, tout mouvement précautionneusement préparé. Et toujours la pluie qui nous single le visage et qui nous alourdit considérablement. Notre progression est très lente. Malgré cela et à plusieurs reprises, nous glissons. Une chute ici et la sortie loisir se transforme en cauchemar. A chaque fois que nous regardons vers le bas, il nous semble que cette descente n'aura pas de fin.

Finalement, c'est sans aucun dommage que nous gagnons le pont de liane qui nous emporte vers l'autre rive et la montée sur l'autre versant. Quoique toujours délicate, l'ascension reste néanmoins beaucoup plus aisée. La traversée d'une zone d'éboulis nous demande cependant un peu d'attention. Le piquet qui supporte la balise a été brisé récemment par une chute de pierres et certaines d'entre elles sont plus grosses que notre caravane.
Le sentier court ensuite en dévers le long de la gorge, mais de ce côté, nous sommes à peu près à l'abri du vent. Elle semble si simple cette partie de la traversé. Elle ne l'est pas. Nono, un peu trop libéré après tant de précautions glisse et se rattrape de justesse. Ne jamais oublier, c'est souvent lorsque l'on se croit tiré d'affaire qu'arrive les malheurs.

Il nous aura finalement fallu une heure pour franchir la vallée. Nous nous accordons quelques secondes pour la contempler une dernière fois. Elle parait encore plus gigantesque depuis ce côté. Il nous est même difficile de croire que nous venons de l'autre.

Une barre de céréale et nous reprenons notre route qui descend dans un petit vallon.

Une heure plus tard, le paysage change enfin. Quelques taillis annoncent l'arrivée imminente de la forêt que nous devons rejoindre. La roche devient sable et nous devons même franchir quelques dunes. Des résidus de végétations se dressent sur des estrades moulées par la pluie et le vent dans ce sol sablonneux. Quelques clichés ici auraient promis d'être spectaculaires, ils resteront de vagues images dans notre souvenir.

Après avoir zigzagué entre les bosquets, nous arrivons finalement dans la forêt. Sombre et humide. Intensément froide. Une mousse appelée old man's beard (la barbe du vieil homme, Usnea hirta) recouvre à peu près tout ce qui vit et le sol est couvert d'une épaisse mousse bleue. Le sentier, qui est plus ruisseau que sentier d'ailleurs, est par endroit constitué de petits ponts et d'espèces d'escaliers pour géant, conçus pour protéger le sol très meuble des pas lourds des randonneurs. En fait, depuis que nous avons regagné la végétation, tous les cinquante mètres environs, nous avons à franchir un obstacle. La marche d'un mètre de haut en est un bon exemple, les rivières sans pont en sont un autre, sans oublier les descentes glissantes dans la boue.

Arrive un moment où il nous faut nous arrêter et ôter les sacs. Cinq minutes de répit. Il est deux heures. En voilà cinq que nous sommes partis. La marche que nous effectuons aujourd'hui est donnée pour six. Pourtant, à la lecture de la carte, nous venons de franchir la dernière rivière de la journée. Mais il y en a eu tellement aujourd'hui, comment savoir.

Nous rechargeons les sacs sur le dos et pensons repartir pour une heure de calvaire, dans la forêt glaciale.

 Un virage à gauche, la hut est là, dans une petite clairière de tussocks. Sans exagérer, à ce moment précis, ce que nous ressentons nous l'appelons allégresse.

Il est 14 heures passées de quelques minutes. Nousdeux qui d'ordinaire prenons plus de temps pour couvrir les parcours que les temps indiqués par les instances, nous avons mis une heure de moins. Nous ôtons un à un nos vêtements en espérant que personne ne viendra assister à notre streaptease, puis inspectons anxieusement l'état du contenu de nos sacs. A la question va-t-on pouvoir enfiler des affaires sèches, la réponse est à peu près oui. L'appareil photo quant à lui, blotti au milieu des linges et des pulls, est parfaitement sec.
C'est sur ces bonnes nouvelles que nous prenons possessions de notre nouvelle maison. Autre bonne nouvelle, le bois a été stocké récemment et il y a même un vieux journal qui traîne dans un coin. Nono se hâte d'allumer un feu. La chaleur se diffuse rapidement et la petite bâtisse devient dès lors très confortable. Nos affaires étalées aux travers de la pièce, se sont tous les moindre coins et recoins qui sont mis à contribution. Nous espérons maintenant ne pas voir arriver une troupe de quinze scouts tout aussi trempés que nous, mais en ce 24 décembre 2008, personne ne rejoindra Mangaehuehu hut et nous passerons le plus paisible des réveillons.
Au menu ce soir, 30 grammes de chedar en apéritif, une soupe "Magie" en entrée, riz au thon saveur épicé comme plat principale et une raie de chocolat aux amandes chacun, excusez du peu, le tout arrosé d'une délicieuse eau de pluie millésimée.

Le festin englouti, nous prenons place dans nos sacs de couchage et attendons l'obscurité pour nous endormir en priant le ciel pour que demain il fasse beau.

mardi 23 décembre 2008

Mardi

23 décembre 2008

6:00 PM.

La nuit fut glaciale. Nos nouveaux sacs de couchages, aussi compacts et sophistiqués soient-ils, nous ont laissé entrevoir leur limite en matière d'isolation thermique. Nono ose une sortie hors de la tente. Le soleil qui pointe timidement à l'horizon éclair un ciel magnifique et badigeonne les parages d'une lumière orangée. C'est désormais sans la moindre pudeur que les deux volcans se dévoilent. Le sol est recouvert de brindilles de gel qui scintillent dans les premiers rayons du jour. Toute la beauté et la singularité des lieux n'y font rien, il fait toujours très froid. On se les pèle sévère j'oserais même dire. Drôle de façon de débuter une journée d'été. Le désert de Rangipo et ses 270 jours de gel par an n'est plus très loin.
Dans ces conditions, pas moyen de rester la bouche en cœur et les doigts de pieds en éventail. Il faut agir, et agir vite, seul moyen de combattre le froid qui nous mort à toutes les extrémités. On prépare le petit déjeuner, on démonte la tente, on commence la préparation des sacs...

Finalement, dans une douceur toute relative, les minutes s'écoulent et la sensation de froidure disparait. Il est bientôt 7H40 et nous sommes prêts pour notre seconde journée de marche.

Nous marchons 3 quarts d'heure et croisons 7 ou 8 personnes avant d'atteindre un croisement. A gauche, Waihohonu hut et le très populaire Northern track, à droite, Rangipo Hut et the round the mountain track, notre route. A partir de ce point et jusqu'à Ohakune Mountain Road (que nous rejoindrons dans trois jours), nous ne rencontrerons plus personne.

Le paysage de l'étape que nous parcourrons ce jour est particulièrement étrange. La végétation témoigne de la rigueur des lieux. Mousses, touffes de Tussock (Chionochloa), buissons d'hebe (hebe) et Mountain Daisy (Celmisia), ou marguerite des montagnes si l'on ose une traduction, en sont les principaux éléments. Tous, de façon visible, parfaitement adaptés au froid et répartis de manière éparse ou très densément à la faveur de critères qui m'échappent un peu (érosion sans aucun doute et réseau hydrographique complexe et aléatoire semble-t-il).
A certains endroits on trouve quelques bosquets, résidus de ce qui fut sans doute une forêt, avant qu'une coulée de boue chaude, ou lahar, n'en emporte une partie. De ces coulées de boues on devine parfois l'extrême front pétrifié, allant de quelques centimètres de haut à plusieurs mètres, et qui à chaque fois, mettent à mal la compréhension que nous avons du lieu.

Notre route nous conduit à une source. Une rivière d'eau claire sort de la montagne. Un peu plus loin, c'est le court d'un torrent complètement desséché qui nous guide. Ici et aux endroits où les rayons du soleil n'ont pas encore réchauffé le sol, de petit cailloux poreux arborent des crêtes de gel ébouriffantes. Nous entamons une grimpette lorsqu'une odeur très forte nous empoigne par les narines. On se tait, avançons à pas de loup. Sans doute un sanglier. Les traces nous indiquent qu'il était là, tout près, à quelques mètres. Nous suivons du regard les traces que l'animal vient tout juste de laisser dans le talus, emportant sans un bruit son odeur traîtresse.

Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque nous arrivons aux portes du désert de Rangipo. Depuis quelques mètres la végétation avait laissé entrevoir quelques traces de changement et tout à coup, derrière une bosse, il est là. Sous mon pied gauche, la prairie, sous mon pied droit le désert. Derrière nous, le mont Ngauruhoe, devant, le Ruapehu.






Sur ce que nous avons pu lire du lieu, la pauvreté du sol et "l'ombre du Ruapehu"(les nuages provenant de la mer de Tasman se crèvent sur le versant nord) font de ce lieu un désert. Nous progressons aux milieux des champs de cailloux et des vergers de roches. Comment ont fait toutes ces pierres pour se retrouver là ? Si les volcans peuvent projeter des cendres sur plusieurs milliers de kilomètres, ils peuvent à coup sûr expédier un bout de roche gros comme une voiture sur une dizaine.
Une petite montée, une courte descente, une rivière. Nous stoppons pour avaler quelques provisions. Les pieds dans une eau limpide, nous faisons la connaissance des sandflies, petits moucherons vampires, dont nous auront tout loisir de reparler plus tard.

Nous reprenons la route. Champs de cailloux, encore, toujours. Parfois, quelques touffes de végétations viennent rompre la monotonie du paysage et quelques Mountain daisy, regroupées en bandes organisées, semblent même prospérer dans le coin.
Une grosse bosse et nous disons au revoir au mont Ngauruhoe que nous ne verrons plus avant samedi. De là, un panneau nous indique que la hut (le gîte) se trouvent là-bas, à deux heures de marche. Nous avons traîné. Certain visage commence doucement à se crisper. Et ce satané désert qui s'étend au fur et à mesure que nous progressons.

Une heure plus tard, nouvelle halte. Du bout de roche où nous sommes assis, nous apercevons une gigantesque crevasse qui déchire le plateau. On imagine le pire. Redescendre, encore, tout en bas, pour remonter, une fois de plus, tout en haut. Ça sent le soufre, littéralement. Un nouveau panneau. Il y est inscrit "Extreme lahar risk next 400 M". La suite raconte pour résumer que surtout, il ne faut pas s'arrêter dans la zone et qu'il ne faut pas si engager si l'on entend un bruit sourd!? Certain visage sont encore un peu plus crispé.

On avance. Nous apercevons désormais un pont de liane (en acier je vous rassure, il n'y a pas de liane dans le désert) qui enjambe de façon spectaculaire une espèce de canyon grandiose. Nono fonce, pas le choix, pas le droit de s'arrêter. Sophie, attend. "One person only"est-il précisé. Le pont tangue, ballotte, secoue. On sert les dents et ça passe sans soucis. Le temps de sortir l'appareil photo et Sophie, dans un acte de bravoure suffisamment conséquent pour être souligné, s'élance, grimace, fixe le bout du tunnel et finalement, franchi à son tour le gouffre démoniaque.

De l'autre côté, nous nous accordons quelques instants de répit et le droit d'observer cette ancienne vallée glacière aux falaises écorchées par la glace, modelées par la lave et les coulées de boue. Le Ruapehu est là, devant, massif dans sa cape blanche, il trône. Nous nous sentons si petit, si vulnérable face à lui, presque effrayés dans ce lieu si hostile. Alors, pour nous rassurer, c'est à ce moment que le bon roi décide de coiffer son auréole multicolore, honneur immense et gage suprême de sa mansuétude.

Époustouflés par l'indéfinissable beauté de l'instant, et dans la suffocante odeur de soufre qui embaume le lieu, nous repartons humblement, sûr à présent de la bonne humeur du titan.

Il nous faudra encore une bonne heure avant de rejoindre la hut. Une heure d'une relative et silencieuse douleur. Une heure avant de s'abriter pour la nuit. Toilette intime en plein air, feu dans le robuste poêle en fonte grise, douceur ultime qui sublime l'être après l'effort, sentiment puissant de bien-être et d'évasion, expérience de la solitude. Nous dévorons une gamelle de pâte et quelques précieux carrés de chocolats avant de nous glisser dans nos sacs de couchage. Là, au milieu de nulle part, nous nous endormons. Et le ciel se met à pleuvoir.

lundi 22 décembre 2008

Lundi


Il est environ 10h30 lorsque nous arrivons à Whakapapa village (prononcer fakapapa). Nono est ravi de garer la voiture et de sentir le stress de la conduite à symétrie orthogonale s'évanouir presque aussitôt. On file à l'office à la recherche de quelques infos. D'abord le temps. Une belle semaine est annoncée. Aahhh! Pluie pour mercredi matin et beau pour le reste de la semaine, quant à aujourd'hui, frais et couvert mais sec, soit le plus important.
On achète une petite carte et on remplit le formulaire (non obligatoire) informant les secours de notre parcours, avec les prévisions de nos étapes et la date de retour programmée. Petite précaution incroyablement rassurante.
Un rapide tour du petit musée consacrée au parc, lunch, on charge les sacs sur le dos et nous voilà partis pour 6 jours de marche autour du mont Ruapehu. Au programme: forêts primitives, prairies alpines, déserts, vallées morainiques, coulées de boue...

L'après-midi se déroule sans embûche. La boucle, que nous effectuons dans le sens horaire, commence doucement, aux travers de la mountain beech forest (la traduction en français serait forêt de nothofagus de montagne, pardon). Petit à petit, les équipages que nous croisons, correspondant plus ou moins au profil type du randonneur longue distance, se font de plus en plus rares.
Après deux heures, nous traversons une rivière et dans le même temps, la forêt laisse la place à une prairie alpine austère où quelques vestiges de coulées de boue et des glissements de terrains viennent rompre la monotonie du jaune fade des touffes de tussocks, du vert sombre des hebes et des taches blanchâtres d'une petite plante aux allures de moisissure et jusqu'ici non identifiée. Après quelques centaines de mètres au milieu de ce paysage, nous pouvons pour la première fois apercevoir le mont Ngauruhoe.

Les discussions vont bon train avec Simon, toujours très intéressantes. Nous n'avons presque jamais arrêté de discuter depuis que nous sommes partis de Te Koha. Il faut dire que nous avons avec nous un personnage plutôt atypique. Au croisement qui mène aux Tama Lakes, il sort sa carte de son sac. Sa destination en ce jour, un petit bout de montagne où il va s'installer seul avec son sac de couchage et sa tente pour 14 jours de méditations. Il nous montre l'endroit où il souhaite se rendre. Encore quelques centaines de mètres et dans le lit sec d'une rivière, c'est le moment de se séparer. Drôle d'impression de se voir saluer quelqu'un, en fin d'après-midi, au milieu de nulle part, et de le voir prendre le chemin le plus direct pour l'oubli.
Nous reprenons le cours de nos discussions en français et marchons encore une heure, avant de nous arrêter pour la nuit, docilement installés entre les deux volcans.

Ring of fire

Avant de parler du Tongariro National Parc, il y a quelques petites explications d'ordre géologique qu'il est important de mettre en avant. Tout le monde à un jour entendu parler de la tectonique des plaques ou dérive des continents. Principe aujourd'hui unanimement reconnu par la communauté scientifique quoique certainement remise en cause par le Vatican. En deux mots, et pour éviter toute confusion fâcheuse, sur lignons qu'il n'est pas question ici d'une danse ridicule pour adolescent en manque de repères, mais du déplacement de l'écorce terrestre, ou lithosphère si l'on veut faire son péteux, divisée en une quinzaine de plaques principales.
De ces déplacements découlent la morphologie actuelle de notre planète, la forme des continents, la hauteur des montagnes, la profondeur des fausses marines... Mais tout le monde sait ça.
Alors pourquoi insister là-dessus? Parce que la Nouvelle Zélande ouvre, ou termine (dépend d'où l'on se place, je préfère, aux vues de ma position géographique actuelle, dire qu'elle ouvre), ce que l'on appelle très poétiquement d'ailleurs, la ceinture de feu du Pacifique, ou ring of fire en anglais.
Plus concrètement, la Nouvelle Zélande est située à la jonction de deux de ces plaques tectoniques, les plaques pacifique et australienne. Nousdeuxlabas, tranquillement installés dans la fraicheur de leur caravane, ont littéralement le cul sur une faille géologique. Intéressant.
Un peu plus concrètement encore, qu'est ce qui se passe alors?
Alors, nos deux plaques rentrent en collision, où plus précisément, la plaque australienne s'enfonce sous la plaque pacifique, ce que l'on appelle dans le jargon, une zone de subduction. C'est à partir de ce phénomène que se forme les montagnes de Nouvelle Zélande. Ces mouvements induisent une importante activité volcanique. On imagine assez facilement qu'il se crée des brèches dans la croute terrestre, plutôt rigide et cassante, aux alentours des ces failles. Ces brèches permettent au magma contenu dans l'asthénosphère de remonter à la surface et par la même occasion de former un volcan.
Nous arrivons enfin là où mon explication laborieuse rejoint l'objet de nos aventures, le Tongariro National Parc. Le Tongariro National Parc est situé géographiquement au milieu de l'île Nord (vulgarisons, vulgarisons) et quelques kilomètres au nord de la faille susnommée. Historiquement, c'est le premier des neuf parcs nationaux que compte actuellement la Nouvelle Zélande à avoir été créé. Il est composée de trois volcans actifs. Le mont Ruapehu, le mont Ngauruhoe et le mont Tongariro. Toujours en activité, leur première éruption date de 250 000 ans pour le Ruapehu et Tongariro, 2500 ans pour le mont Ngauruhoe. Sur l'échelle de temps géologique, c'est peanuts comme on pourrait dire.
Nousdeuxlabas partent donc aujourd'hui à l'assaut des volcans de Nouvelle Zélande.


Tongariro National Parc


Lundi matin 7h. Les affaires chargées dans la Civic, nous embarquons Lenard que nous déposerons à l'arrêt de bus et Simon qui nous accompagne jusqu'à notre première destination, le Tongariro National Parc. Avec tout ce petit monde casé dans la Honda, il ne doit pas rester plus de 25 cm carré d'espace libre dans l'habitacle.
Trois heures de route jusqu'au parc via Taupo. Le grand soleil, comme très souvent sur la baie des buses, laisse vite la place aux nuages au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans l'île. A la première halte, un froid hivernal nous surprend et donne la chair de poule à nos petits mollets bronzés. Nous ne nous éternisons pas et reprenons vite la route de Whakapapa village, point de départ du Round The Mountain Track.