mardi 23 décembre 2008

Mardi

23 décembre 2008

6:00 PM.

La nuit fut glaciale. Nos nouveaux sacs de couchages, aussi compacts et sophistiqués soient-ils, nous ont laissé entrevoir leur limite en matière d'isolation thermique. Nono ose une sortie hors de la tente. Le soleil qui pointe timidement à l'horizon éclair un ciel magnifique et badigeonne les parages d'une lumière orangée. C'est désormais sans la moindre pudeur que les deux volcans se dévoilent. Le sol est recouvert de brindilles de gel qui scintillent dans les premiers rayons du jour. Toute la beauté et la singularité des lieux n'y font rien, il fait toujours très froid. On se les pèle sévère j'oserais même dire. Drôle de façon de débuter une journée d'été. Le désert de Rangipo et ses 270 jours de gel par an n'est plus très loin.
Dans ces conditions, pas moyen de rester la bouche en cœur et les doigts de pieds en éventail. Il faut agir, et agir vite, seul moyen de combattre le froid qui nous mort à toutes les extrémités. On prépare le petit déjeuner, on démonte la tente, on commence la préparation des sacs...

Finalement, dans une douceur toute relative, les minutes s'écoulent et la sensation de froidure disparait. Il est bientôt 7H40 et nous sommes prêts pour notre seconde journée de marche.

Nous marchons 3 quarts d'heure et croisons 7 ou 8 personnes avant d'atteindre un croisement. A gauche, Waihohonu hut et le très populaire Northern track, à droite, Rangipo Hut et the round the mountain track, notre route. A partir de ce point et jusqu'à Ohakune Mountain Road (que nous rejoindrons dans trois jours), nous ne rencontrerons plus personne.

Le paysage de l'étape que nous parcourrons ce jour est particulièrement étrange. La végétation témoigne de la rigueur des lieux. Mousses, touffes de Tussock (Chionochloa), buissons d'hebe (hebe) et Mountain Daisy (Celmisia), ou marguerite des montagnes si l'on ose une traduction, en sont les principaux éléments. Tous, de façon visible, parfaitement adaptés au froid et répartis de manière éparse ou très densément à la faveur de critères qui m'échappent un peu (érosion sans aucun doute et réseau hydrographique complexe et aléatoire semble-t-il).
A certains endroits on trouve quelques bosquets, résidus de ce qui fut sans doute une forêt, avant qu'une coulée de boue chaude, ou lahar, n'en emporte une partie. De ces coulées de boues on devine parfois l'extrême front pétrifié, allant de quelques centimètres de haut à plusieurs mètres, et qui à chaque fois, mettent à mal la compréhension que nous avons du lieu.

Notre route nous conduit à une source. Une rivière d'eau claire sort de la montagne. Un peu plus loin, c'est le court d'un torrent complètement desséché qui nous guide. Ici et aux endroits où les rayons du soleil n'ont pas encore réchauffé le sol, de petit cailloux poreux arborent des crêtes de gel ébouriffantes. Nous entamons une grimpette lorsqu'une odeur très forte nous empoigne par les narines. On se tait, avançons à pas de loup. Sans doute un sanglier. Les traces nous indiquent qu'il était là, tout près, à quelques mètres. Nous suivons du regard les traces que l'animal vient tout juste de laisser dans le talus, emportant sans un bruit son odeur traîtresse.

Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque nous arrivons aux portes du désert de Rangipo. Depuis quelques mètres la végétation avait laissé entrevoir quelques traces de changement et tout à coup, derrière une bosse, il est là. Sous mon pied gauche, la prairie, sous mon pied droit le désert. Derrière nous, le mont Ngauruhoe, devant, le Ruapehu.






Sur ce que nous avons pu lire du lieu, la pauvreté du sol et "l'ombre du Ruapehu"(les nuages provenant de la mer de Tasman se crèvent sur le versant nord) font de ce lieu un désert. Nous progressons aux milieux des champs de cailloux et des vergers de roches. Comment ont fait toutes ces pierres pour se retrouver là ? Si les volcans peuvent projeter des cendres sur plusieurs milliers de kilomètres, ils peuvent à coup sûr expédier un bout de roche gros comme une voiture sur une dizaine.
Une petite montée, une courte descente, une rivière. Nous stoppons pour avaler quelques provisions. Les pieds dans une eau limpide, nous faisons la connaissance des sandflies, petits moucherons vampires, dont nous auront tout loisir de reparler plus tard.

Nous reprenons la route. Champs de cailloux, encore, toujours. Parfois, quelques touffes de végétations viennent rompre la monotonie du paysage et quelques Mountain daisy, regroupées en bandes organisées, semblent même prospérer dans le coin.
Une grosse bosse et nous disons au revoir au mont Ngauruhoe que nous ne verrons plus avant samedi. De là, un panneau nous indique que la hut (le gîte) se trouvent là-bas, à deux heures de marche. Nous avons traîné. Certain visage commence doucement à se crisper. Et ce satané désert qui s'étend au fur et à mesure que nous progressons.

Une heure plus tard, nouvelle halte. Du bout de roche où nous sommes assis, nous apercevons une gigantesque crevasse qui déchire le plateau. On imagine le pire. Redescendre, encore, tout en bas, pour remonter, une fois de plus, tout en haut. Ça sent le soufre, littéralement. Un nouveau panneau. Il y est inscrit "Extreme lahar risk next 400 M". La suite raconte pour résumer que surtout, il ne faut pas s'arrêter dans la zone et qu'il ne faut pas si engager si l'on entend un bruit sourd!? Certain visage sont encore un peu plus crispé.

On avance. Nous apercevons désormais un pont de liane (en acier je vous rassure, il n'y a pas de liane dans le désert) qui enjambe de façon spectaculaire une espèce de canyon grandiose. Nono fonce, pas le choix, pas le droit de s'arrêter. Sophie, attend. "One person only"est-il précisé. Le pont tangue, ballotte, secoue. On sert les dents et ça passe sans soucis. Le temps de sortir l'appareil photo et Sophie, dans un acte de bravoure suffisamment conséquent pour être souligné, s'élance, grimace, fixe le bout du tunnel et finalement, franchi à son tour le gouffre démoniaque.

De l'autre côté, nous nous accordons quelques instants de répit et le droit d'observer cette ancienne vallée glacière aux falaises écorchées par la glace, modelées par la lave et les coulées de boue. Le Ruapehu est là, devant, massif dans sa cape blanche, il trône. Nous nous sentons si petit, si vulnérable face à lui, presque effrayés dans ce lieu si hostile. Alors, pour nous rassurer, c'est à ce moment que le bon roi décide de coiffer son auréole multicolore, honneur immense et gage suprême de sa mansuétude.

Époustouflés par l'indéfinissable beauté de l'instant, et dans la suffocante odeur de soufre qui embaume le lieu, nous repartons humblement, sûr à présent de la bonne humeur du titan.

Il nous faudra encore une bonne heure avant de rejoindre la hut. Une heure d'une relative et silencieuse douleur. Une heure avant de s'abriter pour la nuit. Toilette intime en plein air, feu dans le robuste poêle en fonte grise, douceur ultime qui sublime l'être après l'effort, sentiment puissant de bien-être et d'évasion, expérience de la solitude. Nous dévorons une gamelle de pâte et quelques précieux carrés de chocolats avant de nous glisser dans nos sacs de couchage. Là, au milieu de nulle part, nous nous endormons. Et le ciel se met à pleuvoir.

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