vendredi 26 décembre 2008

Vendredi

26 décembre 2008

Comme nous nous endormons, nous nous réveillons avec le soleil. Nous restons quelques instants immobiles sur notre matelas, pour mieux savourer la douceur du petit matin qui tapote aux carreaux. D'où nous sommes, nous ne pouvons pas voir la couleur du ciel, mais la lumière qui pénètre dans la hut par la baie vitrée laisse à espérer qu'il est plutôt bleu.

C'est Peter qui s'active le premier. Il installe une gamelle d'eau sur le petit réchaud à gaz posé sur le plan de travail près de la fenêtre.
Nono se lève à son tour, part chercher de l'eau à la rivière, revient chercher le réchaud, ressort, rerentre, ne sait plus trop où il habite.
Il y a un truc qui cloche ce matin dans son petit cerveau de thermodynamicien du dimanche. En bon motoriste avisé qu'il est, il a toujours utilisé son réchaud à gaz à l'extérieur. Ben oui, vous savez bien, le coup du monoxyde de carbone, le traître, celui qui ne sent rien et qui vous paralyse à ce qui parait. En plus, ces sales petites bestioles que sont les réchauds à gaz, ont la fâcheuse tendance de ne pas être toujours très stables, enfin, cela dépend surtout de celui qui les utilise...
Alors, il est là notre ami, devant la porte, la gamelle pleine de flotte dans les mains, incapable de prendre la décision dehors, dedans. Peter, qui a tout l'air du randonneur expérimenté, ne s'emmerde pas tant lui. Il utilise son réchaud dedans, et laisse ses chaussures dehors. Ses chaussures justement. Et ce qui devait arriver arriva. Nono laisse la gamelle de flotte lui échapper des mains et tout le liquide s'en retrouve pour le coup éjecté presque intégralement dans la chaussure gauche (pointure 51, au bas mot) du néo-zélandais.
Confus et ridicule, notre petit bonhomme rentre timidement dans la hut demander pardon au grand gaillard. On vous l'a dit, les néo-zélandais sont sympas, et en en voila une preuve de plus, Peter, de l'eau ou pas dans ses groles, ça vraiment, il s'en fout.

Le temps d'éponger autant que possible l'eau de la chaussure et nous reprenons le cours normal de nos activités c'est à dire, petit déjeuner (café soluble infâme et petits gâteaux secs), pactage, nettoyage de la hut. Les néo-zélandais sont les premiers, sans rancune, à partir, suivis quelques minutes plus tard de Nousdeux.

Hormis quelques cumulus qui nous privent parfois de soleil, le temps de ce matin est agréable. Cela est très appréciable après les deux jours de déluge que nous venons de nous farcir. L'espoir est permis, rester sec toute la journée, le rêve. Oui mais voilà. La réalité de la randonnée pédestre est parfois cruelle et il est bientôt l'heure de déchanter. Derrière la hut, un petit bois, quelques arbres tout au plus qui nous cachaient une rivière. Bien sûr, aucun pont en vu et nous nous rendons vite à l'évidence, il ne va pas être facile de la traverser sans avoir de l'eau jusqu'au genoux.

Nous prenons notre courage à deux mains et plongeons nos guiboles engourdies dans la fraîcheur terrible du bouillon. L'eau qui s'infiltre entre les mailles des chaussettes nous brûle les orteils.

De l'autre côté, nous ôtons les sacs pour le premier break de la journée. Il est 7h35. Nous avons décollé à 7h30.

Assis sur une grosse pierre, nous essorons nos chaussettes. Le moral des troupes a été quelque peu lessivé par la traversée.
Nono essai de relativiser. Sophie a un peu plus de mal. Nono, sentant bien que la situation lui échappe, cherche par tous les moyens à maintenir le moral de l'expédition à flot, finit par s'énerver et conclut le tout en beuglant comme un con. Braquage complet de Sophie qui l'envoie proprement se faire voir chez les grecs. Elle est pas belle à voir l'équipée sauvage à ce moment là.

L'orage ne dure que quelques secondes et les esprits retrouvent vite leur calme. Nous reprenons notre route presque sereinement. Celle-ci s'élève par quelques petits passages délicats jusqu'à un promontoire surplombant la vallée. Nous stoppons là quelques instants, le temps de l'imaginer il y a 10 000 ans, remplie de millions de tonnes de glace. Pendant quelques secondes nous marchons sur le monstre.

Le sentier grimpe maintenant au droit dans la forêt, longeant un petit ruisseau bordé de Mountain Daisy. Par endroit, des glissements de terrains mettent à jour le sous-sol de la montagne. Un peu plus loin, le Ruapehu se mire dans les eaux du Lake Surprise...

Nous arrivons au pied d'un immense escalier. Il a été construit pour protéger les milliers de plantes qui s'épanouissent dans cet ancien couloir d'avalanche. Ses innombrables marches nous emportent sur la crête, au dessus de la zone de végétation forestière. Le vent est au rendez-vous et il est en forme aujourd'hui. Comme bien souvent, il amène avec lui ses vieux potes les nuages qui s'accumulent déjà à l'horizon. Nos enfilons une épaisseur supplémentaire avant de partir à l'assaut du sentier qui court à flanc de montagne, traversant une steppe marécageuse. Un crachin flotte dans les courants. Il ne tombe pourtant pas du ciel, il est soufflé de la montagne par le vent.

Nous allons souffrir pendant 4 heures à monter descendre, traverser des rivières. Trop tôt, trop vite, nous espérerons apercevoir la hut. Nous sommes fatigués. Il nous faut puiser dans nos ressources pour continuer. De toute façon, nous n'avons pas le choix.

Nous atteindrons la hut un peu avant deux heures. Nous avons mis 6h30 pour l'atteindre. Une heure de plus que prévu pourtant, nous ne nous sommes quasiment pas arrêtés.

La hut est vide, propre et agréable. Tout en bois, tout en chaleur. Il ne fait pas vraiment froid mais Nono décide d'allumer quand même un feu dans le fourneau. Pendant ce temps, Sophie prépare les deux derniers sachets de nouilles chinoises. Tout à coup, c'est le drame. Dans sa relative fébrilité, la belle renverse le précieux contenu de la gamelle sur le plancher poussiéreux du haut-vent. Ces deux sachets, valant l'équivalent de quelques centimes de dollars néo-zélandais, avaient été pour nous la promesse d'une récompense à l'arrivée, ils maintenaient l'espoir d'un peu de douceur dans notre journée laborieuse. Ce que la valeureuse Sophie ressent à cet instant-là n'est n'y plus ni moins que de la tristesse. Dès lors, il faut sécher ses larmes et patienter jusqu'au soir pour se restaurer. La randonnée en autonomie, faut-il le répéter, c'est redéfinir des échelles de valeurs, c'est faire de petits riens des grands tout.
Le calme revient. Nous passons le reste de l'après-midi à jouer aux cartes et au petit bac.

Vers 17h30 arrive un couple. Piolets, mousquetons et cordes. Ils déballent leur tente qu'ils font sécher à l'extérieur. Chose parfaitement incroyable, ils sentent encore plus mauvais que nous. Elle, 25 30 ans, plutôt sociable, suédoise et parfaitement bilingue. Lui, 30 35 ans, le vrai ours, australien et une tête à cauchemar. Ils font à peu près le même parcourt que nous, mais en évitant autant que possible d'emprunter les sentiers. Pour demain, ils envisagent d'escalader le Ruapehu.

18h00 arrive un second couple. Équipement propre, vêtement moulant dernière génération en Gortex. Ils entrent sans dire bonjour. Chose parfaitement incroyable, ils sentent bons. Elle, 65 ans, plutôt hautaine, Néo-Zélandaise, découpant des légumes frais et du jambon. Lui, 60 ans, nettement plus cool et qui finit même par nous adresser la parole. Ils font la même boucle que nous mais dans l'autre sens.

Nous finissons tous à la même table à écouter la vieille randonneuse parler pour ne rien dire. En fait, nous n'avons qu'une seule idée en tête, impossible de faire autrement: leur piquer leur bouffe! La vue du cœur de batavia, blanc et croquant, les tomates juteuses, les poivrons sucrées finissent par nous rendre un peu fous. Pas assez pour une agression caractérisée, mais assez pour se réjouir à l'idée que demain, nous regagnons la civilisation, ses routes, son eau chaude et ses supermarchés...




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire