lundi 29 décembre 2008

La colonne silencieuse

29 décembre 2008

Nous avions prévu de dormir sur le parking mais un vieil homme est venu et nous en a chassé. Nous sommes partis sans broncher et avons garé notre voiture deux kilomètres plus loin, aux abords d'un sentier, où deux autres campements avaient déjà été installés.

Alors commence l'interminable nuit. Le stress d'être chassé par la police où pire encore. Des histoires de voyageurs détroussés pendant leur sommeil, ils s'en comptent des milliers depuis l'aube de l'humanité. Nous verrouillons la voiture et finissons tant bien que mal par être emportés par un sommeil précaire et sans rêve.

Les heures défilent sur le cadran de l'horloge et finalement, nous sortons de notre rudimentaire léthargie un peu avant le levé du jour. Les étoiles sont déjà parties à votre rencontre.
Devant nous, les trois volcans se découpent dans l'obscurité qui devient pénombre. Hélios se réveillent à son tour et c'est l'incendie. Derrière les colosses, le ciel s'embrase, les contours des montagnes se font braises. Le Dieu Soleil nous déroule un tapis multicolore, un tapis de nuages qui flamboie au dessus de nos têtes, un tapis qui nous indique que nous sommes la bienvenue dans la montagne aujourd'hui.

Préparons un petit déjeuner succin et partons à l'assaut du mont Tongariro, notre destination du jour. Petit sommet très accessible ne dépassant pas les deux milles mètres d'altitude. Pour nous y rendre, nous emprunterons la très populaire Tongariro Crossing, randonnée phare de l'île nord, "must go" que tout bon visiteur de la Nouvelle Zélande se doit de parcourir.
Pour éviter l'affluence, nous avons décidé de partir tôt. Bien nous en a pris, nous nous élançons à peine que déjà arrive le premier autobus.

La première partie du parcours se déroule tranquillement. Un large sentier montant très légèrement entre deux plis et au milieu des herbes jaunes, entrecoupé de quelques petits passages rocheux, conduit les marcheurs au pied du volcan. Nous avançons sur un bon rythme, appréciant la légèreté accordée à nos épaules, soulagées d'une bonne dizaine de kilos en comparaison avec notre parcourt de la semaine dernière. L'horizon se réduit au fur et à mesure que les deux montagnes enflent. Derrière nous quelques formes se distinguent, une meute est à nos trousses. Nous avons de bonnes jambes aujourd'hui et ne voulons rien lâcher. Il n'y a que quelques personnes devant nous, une dizaine tout au plus, alors que plusieurs centaines s'apprêtent à nous emboîter le pas. Nous ne sommes plus qu'à quelques mètres de la première ascension lorsque Sophie reçoit une poussière dans l'œil. Nous stoppons notre progression. Rien de visible mais elle a très mal. Nono ne cède pas à la panique. Traitement à l'eau douce, goutte à goutte grâce au camel back et surtout, ton ferme mais rassurant. Une demi-heure plus tard, la demoiselle est sur pied, prête à reprendre l'aventure. Une demi-heure assis au bord du sentier. Une demi-heure et à peu près quatre ou cinq personnes toutes les deux minutes, cela fait au minimum 60 ou 70 personnes qui sont passées devant nous, à deux mètres. Sachant que trois ou quatre personnes tout au plus se sont inquiétées de notre situation, cela fait un peu plus de 2 pour cent qui nous ont adressé la parole. Les autres sont, à très peu de chose près, passées sans nous dire un mot, sans même nous voir, le plus souvent en regardant de l'autre côté du chemin. Surpris? Plus maintenant.

Remettons les sacs sur les épaules, resserrons les lanières, chacun un piquet, nous repartons rassurés. Nous avalons les trois cents mètres de plat qui nous restaient à parcourir et entamons la montée. Des escaliers. Trop facile. Une à une, en alternant le pied d'attaque, nous dévorons les marches. Déjà, les premiers traîne-savates sont rattrapés, avalés, digérés. Je me sens près à en découdre. Ce ne sont pas des jambes mais des ailes qui me portent aujourd'hui. Plus nous prenons d'altitude, plus le rythme de tous ces gens devient lent, plus nous en voulons. Dans ma folie, j'en oublie de regarder autour de moi. Sophie me rappel à l'ordre. Sur notre gauche, flottant au-dessus de l'horizon, le Mont Taranaki, lointain, vaporeux. Il est une ombre au-dessus du vide. Il a des airs de Fujiyama, de mont Baker, avec sa coiffe d'argent. Nous lui accordons quelques secondes puis repartons à l'assaut du Tongariro.

Je suis affamé, je dévore. Je pourrais courir, exalté par ma suprématie d'un jour au milieu de la masse. Je double des gens qui sont passés devant nous il y a plus de trente minutes. Sophie aussi donne beaucoup, je me retourne pour voir où elle en est. Pas très loin derrière. Elle me fait signe que tout va bien, je continu sur ma lancée. Dernière ligne droite. Un groupe de peignes culs trop occupés à se regarder le nombril et qui nous avaient magistralement snobés sur le parking est en ligne de mire. J'arriverai avant eux. Je tire encore un peu plus et finalement, je les dépose cinquante mètres avant le South Crater. Sophie me rejoindra quelques minutes après.

Nous débarquons sur la lune.

De là, il est possible de partir à l'ascension du mont Doom. Deux heures de sérieuse grimpette jusqu'au cratère sur les traces de Frodo Baggins...
Mais Ngauhuroe n'est pas à notre programme et nous lui tournons les talons.

Nous traversons l'immense étendue cerclée de roches avec cette impression de suivre les traces de Neil Armstrong ou de Tintin. Nous sommes dans la place forte du château. Devant nous, la dernière "difficulté "de la journée. Le sentier grimpe sur un des remparts de la forteresse, longeant les douves, il nous conduit à la porte du donjon.



Nous changeons une nouvelle fois de planète. Nous foulons désormais le sol martien et le vent se révolte. Le "red crater" est sous nos yeux. Connexion directe avec les entrailles de la planète. C'est le clitoris du Tongariro, c'est de là que la terre accouche de la montagne au milieu des fumerolles inquiétantes et des lacs aux eaux turquoise.

Le spectacle ici est grandiose. La vue sur le désert de Rangipo, les plis formés et déformés au rythme des éruptions volcaniques, les montagnes derrière la plaine, balbutiement de la chaîne alpine, contenant la brume matinale, les couleurs, l'absence totale de végétation, l'absence quasi totale de vie, le feu, la glace, le vent. Une étrange sensation nous envahie. Nous prenons conscience de l'absolue singularité des lieux.

Nous reprenons le sentier qui mène au sommet du mont Tongariro. A partir de là, l'affluence se fait relativement moindre, mais en contre-partie, Sophie commence à souffrir de sérieuses crampes dans le mollet gauche. J'ai été présomptueux et arrogant, Sophie en paye les conséquences. Sa progression a été beaucoup trop rapide et elle a fourni un effort important pour s'accrocher à ma connerie. Le calvaire pour elle jusqu'au sommet, qu'elle atteindra avec des larmes. Au travers des sculptures de roches volcaniques, sur le chemin escarpé qui conduit tout la haut, la demoiselle n'aura RIEN lâché, repoussant les limites une fois de plus...



En haut, le vent est si violent qu'il est difficile de garder l'équilibre et le froid qu'il charrie avec lui nous contraint à écourter notre séjour au sommet de notre montagne. Il est l'heure de parcourir le chemin en sens inverse, il est l'heure de redescendre.

Même topo, mais à contre-courant. En redescendant sur le South Crater, nous sommes effarés de constater combien une grande partie de la foule qui arpente les lieux n'a aucune idée de ce qu'elle est en train de faire.
Les équipements sont inexistants ou totalement inadaptés à la montagne. Des groupes de personnes arpentent le sentier sans sac, sans eau, sans habits de rechange, en petit soulier de ville, l'air de rien, rue piétonne, une petite boutique sympa et un café en terrasse. Ce sont les mêmes qui sont passés ce matin devant nous. Je les ai vu. J'ai senti leur arrogance, leur morgue. Face à moi, ils peuvent l'être, je ne peux blâmer personne et c'est tout le poids de leur stupidité qu'ils traînent sur leur épaule et qui pèse lourd, mais face à la montagne, personne ne peut mentir.
Le sentier qui mène au Red Crater, je ne suis pas près de l'oublier. L'expression sur les visages qui se transforment au cours de l'ascension. La souffrance qui tord les bouches, le froid qui pince les peaux nues, le sol qui se dérobe sous les escarpins. Bien sûr, ils ne me regardent pas, ils ne regardent personnes d'ailleurs, ils voudraient pouvoir enfiler le masque, mais ils ont face à eux l'indéniable, leurs limites, et elles sont pour beaucoup d'entre eux beaucoup plus proche qu'ils ne voulaient bien le laisser croire.

(J'ouvre une parenthèse au risque de fracasser le rythme du récit mais c'est important pour nous que vous compreniez. Nous ne prenons pas de plaisir à voir des gens en chier et je ne me pose pas ici en donneur de leçon. Si je décris se passage, ce n'est pas pour badigeonner mes écrits avec du fiel ou par simple plaisir de la diatribe, mais bel est bien parce que ce que nous aimons le plus dans ces expériences de marches ou de montagne, c'est cet apprentissage de l'humilité, et Dieu sait à quel point nous en manquons.
J'ajouterai également que jamais Sophie et moi n'avons cessé de saluer et de remercier les gens qui nous laissaient passer à l'aller et avons adressé un Hi ou un Hello et même quelques bonjours à toutes les personnes que nous avons croiser en descendant et qui ne regardais pas le bout de leurs chaussures par crainte de rencontrer nos regards, mais vous nous connaissez trop bien pour en douter n'est-ce pas?)

Peu après avoir traversé south crater, nous ne croisons plus grand monde. Quelques paumés qui feront certainement demi-tour (en tout cas je l'espère) un peu plus loin, d'autant que la pluie se met à tomber peu après midi.

Emmitouflés dans nos habits de pluies, nous sommes déjà en bas et continuons notre route, bien loin déjà de la colonne silencieuse...

2 commentaires:

  1. la colonne silencieuse...bien trouvé!
    Et oui l'humanité manque cruellement d'humilité, et c'est bien ce qui la conduira à sa perte.
    Je partage votre vision des choses pour ça.
    Sinon la réponse à la petite devinette était le mont Doom ou Ngauhuroe?

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  2. Alalaa c'est super de vous lire, j'espère que vous trouverez le temps de venir gravir quelques sommets à Sixt.
    Bisous.
    Marco

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