lundi 26 janvier 2009

Des phoques et des hommes

Si tu écoutes les gars comme moi te baratiner sur la Nouvelle Zélande, tu les entendras te dire, le front haut et le timbre sec, que ces îles jadis paradisiaques, récemment souillées dans leur chair profonde par le gourdin lubrique de l'homo-tiranicus, furent le sanctuaire édénique des oiseaux et qu'avant ça, aucun mammifère n'était jamais venu y dépoiler, si ce n'est quelques chauve-souris rabougris et presque oiseaux elles même puisque volantes. Eh bien toi, hypothétique lecteur, oui toi, tu pourras leur répondre, "faux, archi faux, belote, rebelote et dix de der. Un ami à moi, au demeurant demeuré mais fort sympathique, cultivé et propre sur lui me signifiait à l'occasion que sur les plages des îles du "pays du long nuage blanc" s'épanouirent pas moins de neuf espèces de seals, ou phoques en français, et qu'aux dernières nouvelles tous sans exception, selon Carl Von Linné, font parties du règne animal et de la classe des mammifères.Nous entendons par seals: lion de mer, éléphant de mer, léopard de mer, phoque et otarie. Sur les deux îles principales, on trouvait principalement des New Zealand sea lion (Phocarcarctos hookeri) et des New Zealand fur seal (Arctocephalus forsteri). C'est justement pour observer ces derniers que Nousdeux ont posé leurs valises à Westport...
Nous parcourons depuis une heure un petit sentier longeant des falaises vertes qui plongent sur la mer de Tasman, ses vagues, son écume, ses remous... Une heure à observer l'infinité bleutée de la mer qui se mire dans le ciel, éternité monochrome que seuls quelques lointains nuages viennent rompre. Une heure et pas la moindre bestiole dans la flotte. Marche silencieuse, les sens en alerte, le regard aigu, les oreilles dressées... A plusieurs reprises, des interjections du genre "là-bas!" ou "ooooh putain ça y est j'en vois un!" brisent notre mutisme. Mais à chaque fois, point de baleine ni de phoque, mais toujours une algue, un rocher ou un rayon de soleil qui s'amuse à rebondir sur une vague. Sur la terre ferme par contre, la vie est nettement plus visible. Au milieu des genets piquants et de leurs fleurs papillons jaunes, nous rencontrons des Yellow hammers, petit bruant jaune introduit quelques décennies auparavant. Sans doute, comme dans le cas du moineau, pour panser la mélancolie des colons. Autre rencontre, plus incongru encore, et celle du weka. Sorte de petite poule astucieuse, voleuse, sauvage et sans aile. Typiquement endémique...
Soudain, une nouvelle tâche noire attire notre attention. Avec plus de réserve, nous sortons les jumelles. Ça bouge. Les otaries sont juste là, à deux cents mètres de nous. Elles barbotent à la surface, font la planche sur le dos, piquent, tourbillonnent, se chamaillent. Leur chorégraphie est emprunte d'aisance et de nonchalance. Elles donnent envie de nageoires. Nous les observons depuis quelques secondes lorsqu'une déferlante monstrueuse, rugissante, plus haute que la liste de doléances d'un peuple autochtone, balaie la baie. Elle s'échoue sur la grève dans un fracas terrible, projetant dans les airs un nuage d'embruns. "Mon Dieu, les otaries!" Effrayés, Nousdeux craignent pour les bestioles. Niaiserie d'occidental bercé aux contes foireux de Monsieur Walt Disney. L'écume se dissipe, les museaux pointus réapparaissent, exactement au même endroit. Nous observons encore un peu leur jeu avant de nous déplacer. Nous cherchons un point de vue qui nous permette de voir la plage. Au premier coup d’œil, rien à signaler mis à part de gros rochers gris bruns. Puis peu à peu, parfaitement confondue, une otarie. Puis une autre, puis dix, vingt... Immobile pour la plus part. Il en est une cependant qui arrache lamentablement sa graisse à l'implacable gravité. Archimède plutôt que Newton. La sirène gracieuse est ridicule sur la terre ferme.





Nous les observons pendant de longues minutes. De toute évidence, celui qui se tient crânement sur la plus haute marche du podium est un gros mâle. Combien peu peser un animal de cette taille? On dirait un lion avec sa crinière épaisse. La quinzaine de femelles qui prennent le soleil dans les environs forment son harem. Au milieu de la troupe nous apercevons une grosse boule de poils affublée de deux énormes yeux ronds et noirs. Quelle semble perdue cette petite otarie au milieu de tout ça. Bientôt pourtant, elle aussi partira braver les vagues. Un peu plus loin encore, un promontoire, des plaques explicatives, un parking et des gens. Il est temps de rebrousser chemin. Une heure sur un sentier à longer des falaises vertes qui plongent sur la mer de Tasman, ses vagues, son écume, ses remous...

Nousdeux sont ravis de leurs rencontres de la matinée. Sensation souvent distillée par la rencontre d'un animal sauvage, la petite otarie a soufflé sur nos cœurs attendris un petit air d'espoir, légèrement débile, simplement humain. Pourtant, ici comme dans beaucoup d'endroit, ces animaux ont failli disparaître. Si les maoris les chassaient pour se nourrir et les ont fait disparaître de l'île nord, les colons européens et leur cupidité barbare ont presque rayés de la liste des espèces vivantes cette otarie. La fourrure d'abord. Précieuse, facile, dégueulasse. Mais les graisses des mammifères marins étaient également une denrée très prisée. Ces pratiques n'ont plus lieu d'être dans le pays aujourd'hui, mais elles continuent d'être pratiquées dans un grand nombre de pays, Canada et Norvège pour ne citer que ceux là.
Aujourd'hui, contrairement à une majorité d'espèces dont la population diminue dramatiquement en Nouvelle Zélande, celle de l'otarie à fourrure n'a de cesse d'augmenter et cela depuis plus de trente ans. Les pêcheurs qui se voient interdit de poser leurs filets dans les zones où elles se reproduisent râlent. Même si la diminution du nombre de baleines jouerai un rôle dans cette recrudescence, moi qui ne mange que du colin capitaine Igloo, je prends plutôt ça comme une bonne nouvelle.

2 commentaires: